mercredi, janvier 31, 2007

Bush et le pari risqué en Irak

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Newropeans Magazine


Bush et le pari risqué en Irak

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Written by Mohamed Abdel Azim
Monday, 15 January 2007


Avec sa décision d’envoyer 21.500 soldats américains supplémentaires en Iraq, le nombre total des forces américaines dans ce pays sera de 161.000, en plus des 25.000 soldats présents au nom d’une coalition qui s’ajoutent aux 8.000 soldats britanniques dans le sud de l’Irak. D’un premier regard, Bush semble déterminé à rétablir la stabilité de l’Irak...

Avec cette volonté affichée depuis bientôt 4 ans, le président américain semble oublier les raisons pour lesquelles l’Irak est fortement déstabilisé voire même dans un état de chaos généralisé.

dessin protégé par copyright Mabi Avec une telle décision, M. George W. Bush présente les symptômes d’un décideur qui souffre drastiquement d’une myopie stratégique et d’une surdité politique inquiétante. Le monde entier est perplexe, sceptique et a du mal à comprendre le sens de cette décision. C’est le cas à Berlin ou à Paris, comme aux Etats-Unis et ailleurs. La presse américaine, qui d’habitude suit l’optimisme du boy texan, a réagi avec du scepticisme à la nouvelle stratégie en Irak. On peut constater une obstination dans l'erreur et l'audace d'un pari risqué et dangereux. C’est la métaphore d’un joueur devant sa machine à perdre et qui, en espérant gagner, répète sans cesse la même erreur : miser d’avantage en augmentant sa mise. Seules une "approche globale" et une "stratégie politique" peuvent permettre à l'Irak de retrouver la stabilité, déclare le ministre français des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy.

Ce plan est très risqué et de nature à provoquer une hausse des pertes américaines, alors que les chances qui pourraient stabiliser l'Irak sont de plus en plus faibles. Cette décision risque de déclencher une autre phase de la guerre. La situation critique peut devenir beaucoup plus dangereuse préfigurant des mois de combats dans les rues de Bagdad ou ailleurs.

Nous assistons à un refus clair de la part du président américain aux recommandations du rapport Baker-Hamilton. Lorsque le rapport est présenté au président Bush, le nombre des pertes américaines en Irak était de 2800. On est depuis passé à plus de 3000 soldats tués en Irak selon les chiffres officiels. Le rejet de l'idée centrale du Groupe d'études sur l'Irak, fait fi de l'opinion de certains de ses généraux et de celle du Premier ministre irakien Nouri al-Maliki. Ce dernier souhaitait, au contraire, un début de redéploiement progressif des forces étrangères dans son pays.

La décision du président américain pose le problème de la compréhension de cette administration. Il y a visiblement une sorte de clivage entre le réel et le décisionnel. La commission spéciale sur l'Irak, chargée d’émettre des propositions et présidée par l'ancien secrétaire d'État républicain James Baker, suggère des changements majeurs dans la stratégie américaine. Il recommande d’effectuer un retrait des troupes américaines par étapes (The New York Times, 27 novembre 2006). Selon le groupe indépendant de la commission Baker, les Etats-Unis doivent changer de stratégie en Irak. Bush ne change rien. Il n’y a pas de «formule magique» pour sortir du marasme irakien : tel est le constat peu étonnant du rapport du Groupe d'étude sur l'Irak remis le 6 décembre 2006, au président Bush. Ce dernier n’entend pas les recommandations et augmente le nombre de soldats. Rappelons que de son côté le nouveau secrétaire d’État à la Défense Robert Gates reconnaît, la veille de la publication du rapport Baker-Hamilton, devant le Sénat que les États-Unis ne sont pas en train de gagner la guerre en Irak et se dit personnellement ouvert à des idées alternatives sur les prochaines tactiques et stratégies à adopter en Irak. Il a ajouté que le statu quo n'était pas tenable.

« Les États-Unis ont fait preuve d'arrogance et de stupidité en Irak et devraient se montrer plus humbles dans leur stratégie dans ce pays, qui a été marquée par beaucoup d'erreurs », affirme, en octobre 2006, Alberto Fernandez, le directeur au Bureau des Affaires proche-orientales au département d'Etat, à la chaîne satellitaire qatarie Al-Jazira.. L'ancien secrétaire d'État américain Henry Kissinger affirme, dans une interview à la BBC, qu'une victoire militaire en Irak n'est plus possible et Kissinger appelle les pays de la région, dont l'Iran, à intervenir pour mettre un terme aux violences.

La décision d’envoyer plus de troupes est un pari dramatique selon le Daily Telegraph. M. Bush se trouve dans la situation d'être incapable de gagner cette guerre comme d'admettre qu'il l'a déjà perdue. Pour sortir du dilemme et puisque la victoire est hors de portée, l'objectif a été circonscrit au maximum. Face au scepticisme de l'opinion américaine et du Congrès, M. Bush entame une dernière mise comme un coup de poker. C'est sa dernière chance de sauver la face et de sauver sa présidence.

L’Amérique commence depuis des mois à contester les raisons pour lesquelles George Bush conduit la guerre en Irak et demande de plus en plus le départ des troupes américaines de ce pays. Basée essentiellement sur une théorique menace nucléaire de la part de Saddam Hussein, Bush opte pour la prévention par la guerre. Depuis 2003, l’armée américaine n’arrive pas à sortir du bourbier irakien. Suite aux résultats des élections de mi-mandat, Bush devait se réinventer en président de compromis ou en canard boiteux. George W. Bush choisit la deuxième option alors qu’il entame les deux dernières années de sa présidence après la victoire démocrate aux élections parlementaires. Cette décision risque de déclencher un affrontement entre le président et le Congrès. On assistera alors à une situation de blocage si l'une des deux parties refuse le compromis que M. Bush n'a lui-même guère pratiqué jusqu'alors. Le plan Bush met en test la cohabitation à l’américaine et risque déclencher un blocage constitutionnel entre la Maison-Blanche et le Sénat.

Il est clair que suite aux attentats du 11 septembre 2001, la perception de Bush de la menace le pousse à entreprendre une série de mesures en vue de lutter contre le terrorisme. L’administration Bush axe sa politique sur l’extension de la lutte le plus loin et en profondeur. La guerre place Bush dans une impasse et l’oblige à être confronté à un dilemme historique : reconnaître une défaite en Irak. La conception des néo-conservateurs de l’extension aboutit à la mise en place de l’opération de guerre contre les Talibans fin 2001. Deux ans plus tard, cette même logique mène à l’invasion de l’Irak avec comme prétexte l’arrêt d’un programme nucléaire clandestin. Alors que la visée réelle de cette guerre est le renversement de Saddam Hossein qui se montrait non-dissuadable par la puissance américaine. La sortie de l’Irak se dessine dans la défaite et non pas par la victoire et la stabilisation du pays. Le programme nucléaire clandestin irakien s’avère fictif et le constat de la non-existence des armes nucléaires en Irak affaiblit la crédibilité des Etats-Unis et celle de l’actuelle locataire de la Maison Blanche face à l’Iran.

L’envoi de troupes américaines supplémentaires en Irak n’est pas un signe d’apaisement mais au contraire un signe de volonté de continuer la politique par d’autres moyens guerriers. Ces actions n’offrent pas les conditions nécessaires au système international actuel pour faire face au problème de la prolifération nucléaire ou au terrorisme. Avec la logique des néo-conservateurs, visant à revitaliser les valeurs patriotiques à l'intérieur et une politique dynamique à l'extérieur des États-Unis, Washington, qui suit une politique d’extension basée sur la force, tarde à revoir sa copie et songe à l’inflexion. En Europe, nous sommes tous sceptiques sur les chances de succès du plan Bush. Il a pourtant « belle allure, il se lit bien, et même il est par endroits convaincant (…) Si seulement M. Bush l'avait sorti à temps », écrit le Los Angeles Times.

Mohamed Abdel Azim*
Lyon (France)


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*Mohamed Abdel Azim est docteur en Science politique, journaliste à EuroNews il est l’auteur du livre : Israël et la bombe atomique, la face cachée de la politique américaine, Paris, l’Harmattan, 2006.

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